Julien Benhamou : “Ma seule exigence est de créer des images fortes et poétiques”
Photographe de la danse, de la musculature et du mouvement, Julien Benhamou immortalise les ballets de l’Opéra de Paris. À cette occasion comme lors de ses collaborations en extérieur, il magnifie les artistes dont les statures comme les envolées semblent parfois défier l’impossible. Grâce, légèreté et expressivité ornent ses sujets, ce toujours à travers un regard singulier.
Quand et comment votre passion pour la photographie s’est-elle révélée ?
À l’âge de 12 ans, je sentais vouloir créer des images mais je n’étais pas doué pour le dessin. On m’a offert mon premier appareil, plutôt compliqué à manier et ça m’a beaucoup intéressé. Je sentais que c’était un moyen simple de m’aventurer vers la création. Pour moi, c’était de la magie : la chambre noire, le tirage à l’agrandisseur… Par la suite, lorsque je suis devenu professionnel, j’ai réalisé que la photographie était un outil social assez puissant. Je pouvais aller vers des personnes que je considérais comme des artistes, leur demander de collaborer… ça m’a permis de créer du lien.
D’où tenez-vous cet attrait pour le spectacle vivant, synonyme de mouvement et de mise en scène, que vous vous plaisez à retranscrire à travers l’image ?
Je ne peux pas dire qu’au départ j’avais une passion pour le théâtre ou la danse mais je sais que j’avais une fascination pour les artistes sur scène. Je trouvais courageux le fait de “se montrer”, de “s’exposer”. Je leur ai tout de suite voué une grande admiration. Réaliser des photos avec ces performeurs signifiait donc d’une part créer des images fortes et d’autre part, les rencontrer. Pendant que je regardais les spectacles, je me disais souvent : “Quel personnage, quel charisme… qu’est-ce que je pourrais faire avec lui ?”.
Votre œil acéré parvient à capturer un instant éphémère, lui donnant une saveur éternelle. Comment anticipez-vous l’immortalisation d’un mouvement, d’une envolée ?
Lorsque je me suis demandé comment créer des images fortes et poétiques, m’est venue l’idée de capturer des sauts. En arrêtant le mouvement, en le figeant, ça montrait naturellement autre chose que la réalité. Je me suis dit que la photographie avait cet attribut de figer l’instant, et figer un instant en plein vol était pour moi particulièrement intéressant. Dans la danse classique, c’est souvent le mouvement à son apogée. Ayant commencé mon métier en photographiant les spectacles de danse, j’ai vite pu voir ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. En un centième de seconde, la photo peut être géniale ou affreuse. J’ai considéré l’importance de l’instant T, dans la danse classique précisément. Je parviens à capter le mouvement en visualisant les corps tel un dessin : grâce aux silhouettes, aux courbes, aux pieds bien tendus, créant des lignes très graphiques dans l’image. C’est mon repère. J’ai cette impression d’être un dessinateur qui peaufine le pied, la main… Donc si la main n’est pas belle, je jette la photo. J’essaie vraiment d’être très attentif là-dessus.
François Alu, premier danseur de l’Opéra de Paris confiait à votre propos que “chaque séance est un réel moment d’effervescence artistique et de surenchère d’idées”. Choisissez-vous la posture, le geste de l’interprète lors de vos séances en extérieur ou est-ce un travail collaboratif ?
C’est une collaboration. J’installe le processus, je trouve le lieu, le stylisme, l’éclairage… et après je demande au modèle qu’on réfléchisse ensemble sur une idée intéressante, un peu inhabituelle, et ça se construit au fur et à mesure. Je peux partir sur une idée, le danseur l’interprète, on choisit une image puis on voit comment on peut l’améliorer de telle ou telle façon. Nous travaillons beaucoup en commun et je suis ouvert aux propositions, donc ça dépend vraiment. Une idée en amène souvent une autre. En général, je viens souvent avec des idées précises tout en me disant : “Comment peut-on faire mieux ?”.
L’esthétisme du corps, dans son rapport à la gestuelle, aux courbes comme à la musculature, est-il pour vous une source d’inspiration particulière ?
C’est le dessin des muscles qui m’intéresse. Dans les poses classiques, ce qui m’intéresse particulièrement ce sont les lignes, le contour des corps. Je cherche à créer une statue en mouvement, à partir du dessin des muscles, de la beauté du geste, avec un côté figé.
Vous photographiez également les corps nus, apportant parfois une dimension graphique et sculpturale. Au-delà, l’image nous dévoile surtout un caractère charnel et sensuel. Comment faire émerger le “beau” dans une forme de pureté, loin de toute obscénité et hyper sexualité ?
Lorsque je fais du nu, ma façon à moi d’atteindre une dimension charnelle, sensuelle et non érotique, c’est de ne jamais avoir un regard équivoque. On peut aussi remarquer que la plupart du temps, les regards des interprètes ne sont pas dirigés vers la caméra. Et s’ils le sont, ce n’est jamais suggestif. J’essaie de montrer une beauté qui s’assume. Je pense au David de Michel-Ange par exemple, c’est la beauté fière dans toute sa splendeur.
Monuments, paysages, lieux mystérieux et insolites entourent souvent vos interprètes photographiés en extérieur. Quel est votre souvenir le plus marquant visuellement ?
Je dirais le cliché de Roberto Bolle contre le cheval ailé, sur les toits de l’Opéra de Paris.
La fumée comme le tissu s’invite dans vos clichés, accentuant la notion de mouvement, de dynamisme, mais provoquant un rendu aléatoire et incertain. Est-ce pour vous une façon de retrouver une forme d’inattendu, l’imprévisibilité de la scène ?
L’idée de l’accident, de l’aléatoire me plaît. J’aime être surpris. Si c’est juste pour faire ce que j’ai à l’esprit, ce que j’ai défini ou vraiment imaginé, ce n’est pas très excitant. Le tissu, le vent, la fumée, suscitent des choses surprenantes.
Vous dites : “Figer l’instant altère la réalité”. On perçoit dans votre recherche une volonté de ne pas retranscrire purement le réel, mais de nous emmener dans une autre perspective. Pouvez-vous nous en toucher quelques mots ?
En faisant des photos de spectacle, je me demandais comment faire différemment avec des compositions personnelles. C’était même un challenge. J’essaie en effet d’ouvrir sur une autre perspective, sans pour autant être narratif. Il n’y a jamais une histoire qui est racontée à travers mes images. Il s’agit même pour moi de mettre de la distance entre l’image et ce que l’on peut interpréter. D’autre part, je n’utilise pas tout ce qui est montage, Photoshop, etc. Et c’est aussi une façon de challenger le modèle, car lorsqu’il est réellement sollicité et impliqué dans l’image, ça le motive et il s’engage pleinement. L’enjeu n’est pas seulement d’être beau ou de faire un beau geste, le processus créatif doit aussi être stimulant.
Les artistes derrière votre objectif défient l’apesanteur, la gravité, jouant de l’équilibre. L’apparition d’une forme de “chute” est aussi récurrente dans votre travail. Est-ce une manière d’appréhender le corps à la fois dans sa force et sa fragilité ?
Dans mon travail, la seule exigence que j’ai, c’est de montrer quelque chose d’esthétique et de poétique. J’aime bien l’idée de confronter la puissance d’un saut ou la violence d’une chute à une impression de légèreté (membres relâchés, l’expression douce sur le visage). C’est aussi un challenge et j’aime ce contraste.
Retrouvez les photographies de Julien Benhamou, pour certaines inédites, dans le livre intitulé La poésie du mouvement, superbe recueil ponctué de citations lyriques et de clichés à l’ampleur panoramique.
Vous pouvez également suivre son travail sur sa page Instagram.
Propos recueillis par Joséphine Roger
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